Pour savoir ce qui se produit réellement dans des situations d’urgence collective (c’est-à-dire en condition réelle, dans des contextes non-expérimentaux), il faut observer les comportements des foules, analyser les témoignages et mener des entretiens avec celles et ceux qui ont survécu.
La panique individuelle dans les foules
Il est indéniable que les membres d’une foule vont ressentir de la peur en situation de danger. Face à une situation menaçante ou dangereuse, il est tout à fait naturel de ressentir de la peur, du stress, de l’inquiétude. Cependant, cette peur ne se transforme pas, en réalité, en un phénomène de panique de masse où la foule est collectivement paniquée, courant partout et criant de manière irrationnelle, à l’instar ce qui est souvent représenté dans l’imaginaire collectif.
Par exemple, une étude de Proulx et Fahy (2004) s’est intéressée aux témoignages de 435 personnes ayant survécu aux attentats du 11 septembre 2001, et qui ont décrit les réactions de leurs pairs pendant l’événement comme des réactions calmes et coopératives, et la panique comme étant individuelle et non collective. Cela signifie que si les individus avaient en effet peur (ce qui est évidemment naturel), cette peur ne les faisait pas agir de manière déraisonnable. De plus, ce que est effectivement observé dans des situations de danger collectif est que les cas de mort dans la foule résultent de situations d’asphyxie liée à une limitation des espaces, et non pas de la panique de masse qui conduirait les membres de la foule à être violents entre eux à cause de leur émotion de panique (Dezecache, 2015).
La peur existe donc bel et bien dans des situations de danger collectif – et elle est normale dans une situations où notre propre vie est en danger – mais elle est loin de se transformer en panique de masse déraisonnable menant à l’irrationalité et à la violence collective.
La coopération et la puissance des foules
Une autre étude (Johnson, 1987) rapporte les témoignages de personnes ayant survécu au concert du groupe The Who à Cincinnati (États-Unis), en 1979. Les témoignages indiquent que les membres de la foule ont été coopératifs et prosociaux. Il ne semble pas y avoir eu de compétition entre individus pour avoir de l’espace, et plutôt de l’entre-aide pour éviter de se faire bousculer. Cet exemple montre donc que non seulement les foules ne sont pas impuissantes, mais qu’elles utilisent de surcroît leur pouvoir d’action pour s’entraider.
Dans les situations où l’espace manque – et notamment lorsqu’il y a un danger – la compétition entre les personnes qui cherchent à avoir de l’espace est naturelle. En effet, quand nous nous retrouvons dans un endroit où nous sommes physiquement restreint.e.s et que nous avons du mal à bouger, nous déplacer ou même respirer, il est rationnel de se sentir en compétition contre les autres pour avoir plus d’espace. Dans les situations de foule où les points de sortie ne sont pas accessibles de façon égale entre les membres de la foule, et qu’il faut agir vite (parce qu’il faut évacuer le lieu rapidement par exemple), les comportements de fuite et les attitudes individualistes ne sont pas complètement irrationnelles (Dezecache, 2015). La prosocialité des foules en situation de danger collectif, mais également leur pouvoir d’action avant l’arrivée des premiers secours, est ainsi un élément d’autant plus important dans ces situations.
L’ordre civil et les normes sociales
D’autres preuves viennent conforter l’idée que les individus d’une foule continuent d’agir conformément à des normes sociales, et de manière prosociale (Dezecache, 2015). Selon Mawson (2005, 2012), les réactions humaines naturelles face à une menace sont principalement affiliatives. Cela signifie que la sensation de peur soudaine motive les individus à chercher du soutien social et à se rapprocher des autres. En d’autres termes, face à la peur, les êtres humains cherchent à former des liens sociaux et à rester solidaires d’autres personnes, en particulier celles qui leur sont familières. Cette affiliation et cette prosocialité ont été observées lors de l’incendie au stade de foot de Bradford, en 1985 : l’entraide a pris le dessus sur les comportements égoïstes. Face à un destin commun, les membres de la foule ont adopté une identité collective qui a favorisé les comportements prosociaux.
Ainsi, un des premiers réflexes que nous avons en situation de danger collectif est l’affiliation, et non la destruction. Poussé.e.s par la peur, nous recherchons avant tout du lien social pour ressentir du soutien, et ensuite nous sauver de la situation.
Conclusion
Les mythes sur les foules (impuissance, désordre civil, panique de masse) sont donc régulièrement réfutés par les études scientifiques sur le sujet. La peur – rationnelle – des individus pour leurs vies mène d’abord à un désir de lien social et de prosocialité, et à des actions concrètes pour se sauver, et plutôt qu’à de la violence, de la destruction, et de la panique collective irrationnelle.