La théorie de l’identité sociale proposée par Tajfel et Turner est l’approche principale utilisée pour expliquer les comportements des foules (Reicher, 1984). Comme nous l’avons vu précédemment, cette théorie distingue les foules physiques, conséquences de l’agrégation de nombreuses personnes, et les foules psychologiques, conséquences de l’identification sociale (Reicher, 2012). Cette théorie décrit également trois niveaux de transformations observées lorsqu’un individu rejoint une foule.
Transformations à trois niveaux
La première transformation est cognitive. Cela veut dire que les normes et comportements des individus varient en fonction de la foule dans laquelle ils se trouvent. En rejoignant une foule, la personne va identifier les normes propres au groupe social associé à cette foule afin de les adopter.
La deuxième transformation est relationnelle. Lorsque les individus dans une foule perçoivent qu’ils partagent une identité sociale avec les autres et que cette perception est commune au sein de la foule, leur relation aux autres personnes présentes est transformée. En effet, la limite entre le soi et les autres est effacée, et un lien aux autres se créé et se renforce. Avec cette transformation, la confiance dans les autres augmente, l’entente se renforce, et la communication est améliorée.
La dernière transformation est affective. Les ressentis des individus sont intensifiés par la foule. Par exemple, les cris et chants des supporters durant un match de foot sont plus forts dans un stade, entourés d’autres fans, que lorsque que les téléspectateurs regardent le match chez eux.
Mais concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? – Analyse du festival de Magh Mela en Inde
Une étude de Hopkins & Reicher (2016) permet de mieux se représenter ces différentes transformations, en les appliquant à une situation de foule particulière – le festival religieux de Magh Mela en Inde. Lors de ce festival, de nouvelles normes et valeurs se créent pour permettre aux pèlerins de « se libérer de leurs préoccupations quotidiennes et de s’engager dans la voie de la spiritualité » (transformation cognitive). L’identification sociale au festival et aux autres pèlerins entraîne alors l’adoption de ces normes et valeurs pendant l’événement.
Dans ce type de situation, le partage d’une identité sociale avec les autres personnes présentes, et le lien qui se créent entre elles impactent par ailleurs l’expérience de proximité physique aux autres (transformation relationnelle). Une étude de Novelli, Drury et Reicher (2010) a montré que lorsque les autres personnes sont perçues comme faisant partie du même groupe social que le nôtre, nous choisissons d’être physiquement plus proches d’elles que lorsqu’elles sont perçues comme faisant partie d’un autre groupe social. Une autre étude de Novelli, Drury, Reicher et Stott (2013) a montré que plus les personnes s’identifiaient aux autres dans la foule, moins elles se ressentaient l’encombrement de l’espace, et mieux elles se sentaient. Cette transformation relationnelle pendant le festival de Magh Mela se traduit par une perception augmentée de soutien social et de connexion aux autres.
Enfin, l’identification sociale commune affectent les expériences perceptives (transformation affective). Les sons des musiques, les discours et annonces diffusés dans les foules à des volumes objectivement élevés – et donc stressants et potentiellement dangereux – sont dans ce cas bien acceptés et positivement reçus par les pèlerins. Plus généralement, les bruits qui facilitaient ou mettaient en évidence l’identité des pèlerins sont ceux qui ont été le plus perçus comme positifs (Shankar et al., 2013).
Les foules physiques et psychologiques se distinguent donc les unes des autres par la présence ou non d’une identité sociale partagée. Celle-ci peut modifier les cognitions et ressentis des membres d’une foule, ainsi que les relations qui existent entre eux. Nous allons par la suite explorer davantage les expériences individuelles dans des contextes de foules (voir les articles « Dans la foule »), afin de mieux comprendre l’influence de l’identité sociale et d’autres éléments qui constituent cette expérience.