01.09.2023
DARK MODE

8. Les études sur l’expérience de foule

L’expérience d’un individu dans une foule ne se limite pas aux éléments concrets de la situation (comme les sons, les odeurs, ou le niveau de densité). Elle inclut également la perception que cette personne a de la situation, et les interprétations qu’elle en fait. Un son fort n’est pas perçu et vécu de la même façon selon la situation dans laquelle il est entendu. Une mauvaise odeur ne provoque pas la même sensation de dégoût selon la personne dont elle émane. Pour illustrer cette idée, nous allons vous décrire quelques études en psychologie qui s’intéressent à l’impact du contexte et du groupe sur des expériences sensorielles vécues.

La perception du froid

Dans l’article « Transformation psychologiques », nous avons brièvement décrit le festival religieux de Magh Mela en Inde, et évoqué les nouvelles normes qui se créent durant cet événement. La baignade en eau gelée fait partie de ces nouvelles normes. Elle serait habituellement vécue comme un exercice très difficile que peu de personnes supporteraient, mais devient « normale » dans ce contexte de groupe. Le festival a lieu entre janvier et février (c’est-à-dire à la période la plus froide de l’année), et les participant.e.s se baignent dans le Gange avant le lever du soleil, c’est-à-dire au moment le plus froid de la journée. Cependant, ces personnes disent aimer fortement ce moment-là, moment qui leur procure un bien-être important. Ce contraste entre la difficulté objective de la situation d’une part, et le taux de participation (y compris parmi les plus âgé.e.s) et les témoignages très positifs d’autre part, est intriguant. Pour mieux comprendre ce qui se passe durant ce type d’évènement, Pandey et ses collaborateurs (2013) se sont rendus à ce festival pour y mener des observations et des entretiens avec les pèlerins. Leur hypothèse était que c’est l’identité sociale partagée (voir les articles « Identité sociale partagée ») qui façonne l’expérience de conditions physiques difficiles. Les données obtenues ont confirmé leur hypothèse : l’expérience de la baignade froide était rapportée comme un signe important de croyance, démontrant la force de leur engagement à leur identité Hindou. L’expérience de la baignade en eau gelée est ainsi l’affirmation d’une identité religieuse, atténuant la difficulté physique de l’exercice.

La perception des sons

Dans ce même contexte de Magh Mela, la perception des sons par les pèlerins est également influencée par l’identité de leur source. Shankar et ses collègues (2013), ont étudié les conséquences émotionnelles de sons forts, pour mieux comprendre comment la source des sons (provenant du festival ou non) pouvait avoir une influence sur la manière dont ils étaient vécus par les personnes présentes. Le festival de Magh Mela se caractérise en effet par des sons forts, continus et cacophoniques, qui sont objectivement désagréables pour l’oreille humaine. Grâce à des entretien réalisés auprès des participant.e.s du festival, Shankar et ses collègues ont pu mieux comprendre dans quelle mesure la source et la signification attribuée à un son pouvaient influencer l’expérience affective de ces sons par les festivaliers. L’étude de ces entretiens montre que les sons qui proviennent du festival (et qui ont donc une connotation religieuse) sont perçus comme étant plus positifs que ceux qui proviennent d’autres sources, dans le même environnement. De plus, l’évaluation du caractère positif ou négatif des sons chez les participant.e.s semblent dépendre de la présence ou non d’une identité sociale de pèlerins. Par ailleurs, l’étude a aussi montré qu’un même son pouvait être vécu plus positivement et écouté pendant plus longtemps s’il était associé au festival plutôt qu’à une source autre. En résumé, la source des sons, leur contribution (positive ou négative) à l’expérience religieuse du festival, et l’identité sociale des personnes (pèlerins ou non pèlerin), sont des facteurs cruciaux dans la perception des sons et dans les émotions qui y sont associées.

La perception de sécurité

De manière assez similaire, l’expérience des pèlerins semble également être influencée par leur identité sociale dans un autre type de festival religieux – cette fois-ci le Hajj à la Mecque. Le Hajj à la Mecque est un évènement religieux auquel chaque Musulman est supposé participer au moins une fois dans sa vie. Des millions de personnes s’y rendent au même moment chaque année pour effectuer leur pèlerinage sur une durée de 5 à 6 jours. Ainsi, durant cet évènement, la densité physique des personnes présentes est très forte, et celles-ci sont toutes présentes pour la même raison. Malgré cette densité, l’événement est vécu de manière très positive par les pèlerins, et la foule ne semble pas être un problème.

Alnabulsi et Drury (2014) ont interviewé 1194 pèlerins à la Mecque durant le Hajj de 2012. Ils ont conclu de leur étude que les individus se sentaient en sécurité dans ce contexte de foule, qui peut pourtant être à certains moments physiquement dangereux du fait de sa densité exceptionnelle. Ce sentiment de sécurité étaient aussi fortement lié au sentiment d’identification sociale à la foule : plus les individus s’identifiaient aux autres personnes présentes, et plus ils se sentaient en sécurité.

La perception des odeurs

Cet impact de l’identité sociale sur l’expérience sensorielle a également été observé dans des contextes de groupes plus petits, au niveau de la perception des odeurs. Dans une étude de Reicher et ses collègues (2016) explorant le dégoût potentiellement provoqué par une mauvaise odeur, les individus étaient moins dégoutés par des t-shirts à mauvaise odeur appartenant à leur propre groupe que ceux appartenant à un autre groupe. Précisément, ils étaient moins pressés de se laver les mains et utilisaient moins de savon lorsque le t-shirt qu’ils avaient senti appartenait à leur groupe. En d’autres termes, l’appartenance et l’identification à un groupe atténue la sensation de dégoût provoquée par une mauvaise odeur provenant d’une autre personne.

Conclusion

Ainsi, l’impact sur nos ressentis et perceptions des foules qui nous entourent ne dépend pas seulement des caractéristiques objectives de cet environnement. Il dépend aussi du contexte et du lien que nous avons avec les personnes qui en font partie, et des significations que nous attribuons aux stimuli auxquels nous sommes confronté.e.s.

 

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