La représentation populaire des foules
La foule a toujours été un sujet d’étude et de débat, notamment depuis la publication du livre de Gustave Le Bon en 1895, intitulé Psychologie des foules.
Ce livre a exercé une influence considérable sur la représentation populaire des foules. Selon Le Bon, les foules seraient irrationnelles, instinctives, influençables et violentes. Plus précisément, l’être humain dans la foule ne serait plus civilisé, il retournerait à l’état d’être primitif :
« Aussi, par le fait seul qu’il fait partie d’une foule organisée, l’homme descend de plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un barbare, c’est-à-dire un instinctif. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs. » (Le Bon, 1895).
Cette vision de la foule persiste encore aujourd’hui, malgré son inexactitude et malgré les preuves empiriques venant la démystifier (voir les articles « Mythes et réalités » pour plus de détails).
L’étude scientifique des foules
Aujourd’hui, les foules sont étudiées de manière plus scientifique, et reposent sur des méthodes d’observation, des entretiens et des études expérimentales, qui permettent d’obtenir des preuves concrètes.
Et ce sont plusieurs disciplines qui s’intéressent à l’étude des foules, chacune se focalisant sur un aspect particulier.
Par exemple, tandis que la physique s’intéresse aux flux de piétons, et en particulier aux processus physiques qui permettent d’expliquer ces flux (Helbing & Molnar, 1995), la recherche en informatique vise à modéliser et à simuler ces déplacements (Maury, Roudneff-Chupin, & Santambrogio, 2010).
La psychologie sociale, elle, étudie les comportements individuels et collectifs au sein des foules.
Par exemple, certaines recherches (Reicher, 1984) s’intéressent aux liens qui peuvent se créer entre les personnes dans certaines foules et pas dans d’autres – par exemple dans un stade de foot plutôt que dans le métro (voir les articles « Identité sociale partagée »). D’autres vont s’intéresser aux réactions individuelles et collectives dans des foules confrontées à des situations de danger (Dezecache et al., 2021).
Les méthodes de recherche
Pour explorer toutes ces thématiques, il existe plusieurs méthodes de recherche, propres à chacune de ces disciplines. En informatique par exemple, il est possible de modéliser et de simuler les mouvements de foules avec des ordinateurs.
Dans le domaine de la physique, une méthode est de demander à des personnes de se déplacer dans un espace et de les filmer pour analyser et évaluer leurs mouvements et leurs déplacements.
Dans le cas de la psychologie des foules, il est assez difficile de créer des situations naturelles de foules en laboratoire, et d’étudier les comportements des individus et des groupes. D’autre part, étudier les comportements individuels et collectifs dans des contextes écologiques ne permet pas de contrôler tous les facteurs externes (par exemple, si les personnes sont de bonne humeur ou non, si elles sont seules ou avec des amis, etc.).
De plus, il est impossible d’étudier des foules en situation de danger, pour des raisons évidentes d’éthique.
Plusieurs alternatives méthodologiques existent cependant. Certaines se basent sur des observations, qui permettent d’étudier les foules au naturel sans interférer dans leurs dynamiques, mais ne permettent pas de manipuler certains facteurs (par exemple, la densité des personnes présentes).
D’autres se basent sur des questionnaires et/ou des entretiens : cela permet de questionner après coup les personnes sur leur expérience de la foule ou sur une situation de danger collectif qu’elles ont vécue (dans le cas d’une attaque terroriste, par exemple). Mais ce type d’études est susceptible de générer des oublis, des faux souvenirs ou une volonté de la part des personnes interrogées de donner une bonne impression de soi auprès des expérimentateurs.
Il est enfin possible d’utiliser la réalité virtuelle pour créer et manipuler des situations de foules, pour ensuite observer les comportements des individus.
Perspectives
À l’avenir, l’innovation technologique promet de révolutionner davantage l’étude des foules. Des outils comme la réalité virtuelle offrent déjà la possibilité de simuler des scénarios de foules et d’observer les comportements en temps réel, dans un environnement contrôlé.
En outre, avec l’essor de l’analyse de données à grande échelle, nous pourrions être en mesure de déchiffrer les dynamiques de foules avec une précision sans précédent.
Cette fusion de méthodes traditionnelles et de technologies de pointe devrait permettre une compréhension encore plus profonde de la psychologie des foules dans un avenir proche.
Conclusion
Ainsi, plusieurs disciplines s’intéressent à l’étude des foules, et chacune dispose de ses méthodes pour le faire.
Le prochain article présentera des exemples concrets d’études et de résultats dans ces différentes disciplines.
Puis nous entrerons dans le sujet de la psychologie des foules à proprement parler, c’est-à-dire l’études des comportements individuels et collectifs dans les foules.